Poésies (Rimbaud)/éd. Vanier, 1895/Oraison du soir

La bibliothèque libre.

Pour les autres éditions de ce texte, voir Oraison du soir.

Poésies complètes, Texte établi par avec préface de Paul Verlaine et notes de l’éditeur, L. Vanier (p. 8).
◄  Voyelles
Les assis  ►


ORAISON DU SOIR


Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier,
Empoignant une chope à fortes cannelures,
L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier
Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures.

Tels que les excréments chauds d’un vieux colombier,
Mille rêves en moi font de douces brûlures ;
Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier
Qu’ensanglante l’or jaune et sombre des coulures.

Puis quand j’ai ravalé mes rêves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille pour lâcher l’âcre besoin.

Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin,
Avec l’assentiment des grands héliotropes.